Les liens, pour le moins troubles, entre Emmanuel Macron et l’exécutif d’un côté, et le puissant fonds d’investissement américain BlackRock, éclairent d’un jour particulier le projet de réforme des retraites et plus largement certaines décisions du gouvernement.
Une fois de plus, à l’intérêt général et national, Emmanuel Macron semble préférer les intérêts privés et étrangers. Dans la perspective de sa future reconversion en 2022 ?
BlackRock est un énorme fonds d’investissement américain, le plus important gestionnaire d’actifs au monde. Les clients d’un fonds d’investissement sont les fonds de pensions privés. Crée en 1980 et implanté dans une centaine de pays, BlackRock gère aujourd’hui près de 7000 milliards de dollars d’actifs, soit presque le triple du PIB français.
La filiale française gère plus de 27 milliards d’euros de fonds confiés par des clients français. Ce que Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès de Bruno Le Maire, qualifie de « Smarties » (« Le marché français est une boite de Smarties pour BlackRock, arrêtons de croire que nous sommes le centre du monde. » Bourdin Direct, 2 janvier 2020)
Elle est dirigée par une figure bien connue du monde politique et des affaires : Jean-François Cirelli, énarque, ancien conseiller économique de Jacques Chirac, nommé ensuite PDG de Gaz de France. Elevé au grade d’officier de la légion d’honneur par Emmanuel Macron il y a quelques jours, il est l’incarnation, comme bien d’autres, de l’esprit de connivence entre haute fonction publique, monde politique et monde des affaires.
Depuis plusieurs années, BlackRock se montre intéressé pour mettre la main sur une partie de l’épargne des actifs français les mieux payés afin de l’orienter vers l’épargne-retraite, c’est-à-dire en faire des clients via les fonds de pensions. Dans une note à destination du gouvernement français en juin 2019, BlackRock regrette le niveau « décevant » de l’épargne-retraite individuelle en France, mais se félicite des allégements fiscaux sur les produits d’épargne-retraite contenus dans la loi Pacte, qui vient alors d’être votée.
Il faut dire qu’Emmanuel Macron a souvent eu, depuis son élection, une disponibilité et une oreille attentive envers les dirigeants de BlackRock. Il a ainsi reçu son PDG, Larry Fink, dès les premiers jours de son mandat, le 6 juin 2017 ou encore en juillet 2019, une nouvelle fois à l’Elysée, pour une réunion sur le climat et l’investissement. En mars 2019, au lendemain de sa nomination comme haut-commissaire aux retraites, Jean-Paul Delevoye avait également rencontré les dirigeants de BlackRock.
Corollaire de la loi Pacte, le projet de réforme des retraites est l’occasion rêvée d’ouvrir la voie à un système par capitalisation à destination des 1% des actifs les plus aisés. En effet, le système mis en place par le gouvernement devrait exonérer de cotisations (dont le taux est de 28,12%) la part des revenus supérieurs à 10 000 euros par mois en contrepartie d’une cotisation de solidarité de 2,8% (qui ne donnera aucun droit supplémentaire en matière de pension).
Concrètement, le projet de réforme des retraites va diviser par neuf le taux de cotisations des 1% des salaires les plus élevés, ce qui va coûter près de 3 milliards d’euros chaque année. En effet, dans le système actuel, les salariés du privé cotisaient jusqu’à 324 000 euros de revenus annuels pour leur retraite complémentaire. Parmi eux, 200 000 gagnaient plus de 120 000 euros. Leurs cotisations au-dessus de ce plafond représentaient un montant d’environ 3,1 milliards d’euros par an (dont 2/3 de cotisations patronales). La « cotisation de solidarité » ne rapportant que 300 000 euros par an, le projet de réforme des retraites, qui abaisse le plafond d’exonération de cotisations de 324 000 à 120 000, privera donc les caisses de retraites de 2,8 milliards d’euros chaque année.
Les grands gagnants de la réforme seront d’abord les entreprises qui payaient jusqu’ici les 2/3 de ces cotisations. Dans une moindre mesure, les 1% des revenus les plus élevés qui toucheront leur retraite par répartition et complémentaire mais aussi un complément de retraite par capitalisation grâce à l’argent qu’ils ne verseront plus en cotisation au-delà de 120 000 euros et qu’ils confieront à des fonds de pension, encouragé par les allégements fiscaux de la loi Pacte, et… pour le plus grand profit de fonds d’investissements, souvent étrangers, tels que BlackRock. CQFD.
Le grand perdant de la réforme sera l’équilibre financier de notre système de retraite par répartition, car au-delà des 2,8 milliards d’euros perdus chaque année, il devra continuer à payer, durant la transition entre les deux systèmes, les retraites complémentaires des cadres pendant des décennies… avec une partie des cotisations des cadres actifs en moins.
En ouvrant notre système de retraite à des fonds privés et étrangers, alors même qu’il y aurait tout à gagner à gérer collectivement et dans l’intérêt national, Emmanuel Macron fait une fois de plus le jeu de ses généreux donateurs, le choix d’un mondialisme économique sans frontières, et peut-être le pari d’une reconversion professionnelle, pourquoi pas au sein de l’un de ces puissants fonds d’investissement, comme l’ont fait, à l’issue de leur mandat, ses amis politiques Tony Blair au sein de la banque d’investissement JP Morgan ou Manuel Barroso chez Goldman Sachs, une autre banque d’investissement. Une suite de carrière logique pour le haut fonctionnaire et banquier d’affaires qu’il est.