Le 21 juillet 2020, le Conseil européen s’accordait pour un plan de relance de 750 milliards d’euros, baptisé « Next Generation EU », en réaction à la crise économique provoquée par l’épidémie de Covid-19 et les mesures de confinement. Cet accord historique est-il réellement une aubaine pour la France ?

 

Une entrave à la relance de l’économie française

 

Car cet accord est bien historique : il va conduire l’Union européenne à s’endetter pour financer le plan de relance, alors qu’une mutualisation des dettes à l’échelle européenne avait toujours été refusée jusqu’à présent, notamment par l’Allemagne. Le plan a essentiellement vocation à financer des programmes de relance nationaux, par deux mécanismes :

  • Des subventions, à hauteur de 312 milliards d’euros
  • Des prêts, à hauteur de 360 milliards d’euros (chaque pays étant libre de recourir ou non à ces prêts auprès de la Commission)

Les 78 milliards restant financeront des programmes européens d’investissement[1].

 

Quel est le bénéfice de ce plan pour la France ? Côté subventions, elle doit recevoir 37,4 milliards d’euros[2], qui contribueront au financement du plan « France Relance » dont le montant total s’élève à 100 milliards. Le reste de ce plan est financé par des ressources nationales. Côté prêts, la France n’a pas d’intérêt à recourir aux fonds européens puisqu’elle emprunte déjà sur les marchés à des taux inférieurs à ceux qu’elle peut espérer auprès de la Commission européenne[3].

 

Mais la France devra garantir l’emprunt européen à hauteur de 70 milliards d’euros[4], soit nettement plus que ce qu’elle va toucher dans ce plan de relance : elle aurait donc tout à fait pu s’en passer et financer entièrement elle-même son plan national.

 

Près d’un an après l’adoption de l’accord du Conseil européen, on s’aperçoit que la France paie surtout pour… attendre. En effet, alors que le Royaume-Uni et les Etats-Unis ont déjà mis en œuvre un plan de relance dès 2020 et que ces derniers en entament un autre pour 2021, le plan de relance européen n’est toujours pas définitivement adopté et l’on sait d’ores et déjà qu’aucun versement ne sera fait à la France avant septembre, dans le meilleur des cas. Cette lenteur est évidemment due à la lourdeur des procédures européennes et à la difficulté d’agir à 27, chaque parlement national devant approuver le projet. Le versement des fonds est de toutes façons prévu à 70% pour 2021-2022 et 30% pour 2023[5] : un retard considérable par rapport à ce que mettent en œuvre les pays hors UE.

 

Alors que le gouvernement met en avant « la rapidité »[6] comme premier atout de son plan de relance, on voit bien que le choix réalisé n’est pas du tout celui d’aller au plus rapide, ce qui serait pourtant indispensable pour redresser notre économie marquée par une récession de 8,3% en 2020.

 

De nouvelles chaînes à la souveraineté française

 

Mais la France ne paie pas que pour attendre : elle paie aussi pour voir ses dépenses contrôlées par les technocrates de la Commission européenne. En effet, chaque plan national financé par « Next Generation EU » doit être soumis à l’approbation de la Commission, qui vérifie le respect d’un ensemble de critères. Ainsi, chaque plan doit investir au moins 37% des montants pour des objectifs environnementaux et au moins 20% pour le numérique, mais aussi répondre aux attentes de la Commission en termes de réformes structurelles, de politiques budgétaires et de prévention des déséquilibres macroéconomiques[7]. Il faut donc croire que le gouvernement n’a plus suffisamment confiance en lui-même pour établir un plan de relance qui tienne la route. On notera au passage que l’accord sur le plan de relance a été négocié au prix d’une forte réduction du budget du nouveau plan « EU4Health »[8] et que les dirigeants européens ont pris soin de préciser que cet argent ne devait pas être utilisé pour revaloriser les salaires des professionnels de santé. « Faire l’Europe » ou protéger la santé de ses citoyens : on ne peut pas tout faire à la fois.

 

En plus de cette perte de contrôle sur la façon dont nous investissons notre propre argent, le plan de relance est l’occasion de déléguer une nouvelle compétence à l’Union européenne : celle d’emprunter sur les marchés. Le fait que cette compétence ne soit absolument pas prévue dans les traités européens, qui indiquent au contraire que le budget de l’UE doit être équilibré entre recettes et dépenses, ne semble pas déranger grand-monde[9]. Le « respect de l’Etat de droit » fait pourtant partie des conditions d’approbation des plans de relance nationaux par la Commission : il faut croire que nous n’en avons pas tous la même définition. Plus encore, on peut s’interroger sur le succès à attendre de la manœuvre : on a vu la réussite qu’a rencontré la Commission européenne en s’improvisant centrale d’achat pour les vaccins, nous ne sommes pas sûrs d’avoir hâte de voir ce que cela va donner lorsqu’elle va s’improviser agence de placement de dette publique.

 

Mais ce qui rend notre Président Emmanuel Macron si enthousiaste envers ce plan de relance (au-delà de tous les avantages mirifiques que nous venons d’énumérer), c’est qu’il crée une nouvelle solidarité européenne : une solidarité par la dette. Il est fort probable qu’il ait raison sur ce point : cet emprunt va générer un coût d’emprunt, dont on peut s’attendre à ce qu’il devienne un poste de dépense pérenne du budget européen (en France, le service de la dette représente le deuxième poste le plus important dans le budget de l’Etat). Le plafond des ressources appelables auprès des Etats membres par l’UE est passé de 1,4% à 2% du Revenu National Brut avec ce plan européen : il y a fort à parier que cette logique d’endettement conduise la France à être toujours plus enchaînée au budget de l’UE.

 

Une accentuation des déséquilibres économiques qui fracturent la société

 

On peut d’ailleurs se demander pourquoi la création de nouvelles dettes devrait autant nous réjouir ? Lorsque les marchés financiers s’étaient trouvés fragilisés par la crise de 2008, la BCE n’avait pas hésité à prêter massivement aux banques pour plusieurs milliers de milliards d’euros : pourquoi cet emprunt de 750 milliards n’est-il pas aujourd’hui réalisé directement auprès de la BCE ? Il y a une réponse juridique bien entendu : la BCE ne peut pas accorder de crédit aux institutions de l’UE, pas plus qu’elle ne peut prêter aux Etats membres.

 

Ce nouvel endettement, massif, va donc être réalisé auprès des marchés financiers, ce qui va encore accroître la part du remboursement des taux d’intérêt dans la dépense publique. Ainsi, tous les commerçants, employés, entrepreneurs, restaurateurs, etc. qui ont été empêchés de gagner leur vie du fait des mesures de confinement – ce qui conduit aujourd’hui à la nécessité du plan de relance – vont devoir demain rembourser par davantage d’impôts un nouvel endettement public considérable, qui fait encore gonfler la place des marchés financiers dans l’économie (ce dont la Commission européenne se réjouit naïvement en affirmant que le montant de l’emprunt « renforcera le rôle international de l’euro »[10]). Un peu plus de deux ans après la crise des gilets jaunes qui a illustré les fractures sociales qui traversent la France et alors que la crise sanitaire a conduit à une accentuation des inégalités[11], les logiques macroéconomiques qui sous-tendent le plan de relance européen ne laissent guère entrevoir la perspective d’un rééquilibre.

[1] https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-plan-de-relance-europeen-en-cinq-questions-1273198

[2] https://www.lesechos.fr/monde/europe/le-plan-de-relance-europeen-en-cinq-questions-1273198

[3] Ces taux devraient en revanche être intéressants pour des pays plus en difficulté, comme l’Italie notamment.

[4] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/plan-de-relance-europeen-comme-pour-les-vaccins-l-ue-montre-a-nouveau-toutes-ses-limites-dans-cette-crise-20210407

[5] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/plan-de-relance-europeen-quelles-sont-les-prochaines-etapes/

[6] https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance

[7] https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/plan-de-relance-europeen-quelles-sont-les-prochaines-etapes/

[8] https://www.lecho.be/economie-politique/europe/general/eu4health-5-milliards-pour-plus-d-europe-de-la-sante/10289877.html

[9] Sauf les requérants auprès de la Cour constitutionnelle allemande https://blog.leclubdesjuristes.com/la-cour-constitutionnelle-allemande-ne-bloque-pas-le-plan-de-relance-ue-du-moins-pour-linstant/

[10] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_21_1703

[11] https://www.lefigaro.fr/social/covid-19-la-crise-sanitaire-a-accentue-les-inegalites-sociales-20201010

Paul Lemoine

Paul Lemoine

Consultant