Le thème de « l’autonomie stratégique européenne » est seriné à longueur de discours en France, tant par le Président que par Mme Parly. Il est pourtant inacceptable dans l’état de la doctrine française, indésirable partout en Europe et à l’OTAN et constitue une erreur impardonnable.
Inacceptable, l’autonomie stratégique européenne l’est évidemment, au regard de la doctrine d’indépendance qui marque en profondeur le modèle d’armée français ; axé autour d’une force de frappe, qui ne saurait être une épée à deux mains (franco-allemande ou franco-européenne) mais bel et bien une arme strictement nationale, ce dernier est un modèle conçu dès l’origine et jusque dans ses moindres détails comme « national ». La raison en a été donnée par discours du général De Gaulle à l’Ecole de Guerre le 3 novembre 1959 : « Il faut que la défense de la France soit française. C’est une nécessité qui n’a pas toujours été très familière au cours de ces dernières années. Je le sais. Il est indispensable qu’elle le redevienne. Un pays comme la France, s’il lui arrive de faire la guerre, il faut que ce soit sa guerre. Il faut que son effort soit son effort. S’il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu’il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l’estime qu’il a de lui-même, avec son âme. ».
Cette définition du modèle national ne signifie pas que la France renonce à la solidarité avec ses alliés : l’intervention française pour la réassurance de la Grèce face à la Turquie le démontre, mais le modèle d’armée français est national c’est-à-dire qu’il est indépendant ; or le système otanien comme européen tend par construction à privilégier de manière exclusive la mutualisation des moyens et la spécialisation des capacités parmi les Etats membres : l’autonomie stratégique européenne n’est ainsi qu’une dépendance mutuelle, ennemie par définition de toute indépendance nationale…
Indésirable, l’autonomie stratégique européenne l’est assurément en Europe. C’est peu de dire que l’idée lancée dès 2017, a fait un four épouvantable au sein de l’Union européenne ou des pays de l’OTAN. En Allemagne, d’abord, ce qui est gênant compte tenu du partenariat exclusif que M. Macron a voulu nouer. La ministre de la Défense, Mme Annegret Kramp-Karrenbaueur a sèchement renvoyé le Président français à la réalité : « Il faut mettre un terme aux illusions d’une autonomie stratégique européenne : les Européens ne seront pas capables de remplacer le rôle crucial Etats-Unis pour assurer la sécurité« . Loin d’être un coup de sang, cette position est au contraire celle de l’Allemagne, d’Adenaueur hier à Laschet demain.
Pire : loin d’être celle de la seule Allemagne, elle est universellement partagée en Europe ; c’est ainsi que le 11 janvier, M. Guerini, ministre italien de la Défense, renchérissait sur sa collègue allemande dans les colonnes de Defense News : « L’Italie ne considère pas que l’autonomie stratégique européenne comme une politique de cavalier seul. Elle y voit une confirmation du rôle de l’Europe en tant que pilier de l’architecture de sécurité collective basée sur le pacte transatlantique. »[2][2].
Même son de cloche dans les Pays Baltes, la Pologne, la Roumanie, obsédés par la Russie, et cherchant la protection du parapluie américain.
Impardonnable, cette idée d’autonomie stratégique européenne l’est totalement. L’échec du Président et de Mme Parly dans leur croisade européenne est patent en dépit de plus de quatre années de promotion stérile. Pire : leur entêtement est devenu impardonnable.
En Europe et aux Etats-Unis, il a été une source d’interrogation, puis d’incompréhension et enfin d’énervement. Pourquoi la France qui a rallié sans débat national le commandement intégré de l’OTAN en 2009, veut-elle, à chaque occasion, bâtir un système de défense hors d’elle ? Pourquoi parler de « mort cérébrale » sans quitter l’OTAN ? Pourquoi poursuivre la quête de l’autonomie stratégique européenne alors que cette proposition ne rencontrera jamais un écho positif en Europe ?
En France même, ce débat sur l’autonomie stratégique européenne n’a apporté que confusion. Là où la doctrine de la force de frappe était claire, M. Macron a apporté la confusion d’un possible « dialogue stratégique » avec ses alliés. Là où le modèle d’armée était légitime car national, M. Macron a apporté la confusion en évoquant la perspective d’une « armée européenne » illégitime. Là où l’industrie d’armement garantissait l’indépendance des moyens militaires, M. Macron a apporté la confusion de la dépendance mutuelle en forçant la coopération avec l’Allemagne, un partenaire avec qui ni doctrine ni besoins militaires, ni spécifications ni gouvernance industrielle ne convergeront jamais…
Comme toute idée fixe, cette autonomie stratégique européenne n’avancera donc pas jusqu’en 2022, date à laquelle elle sera remise au placard bien rempli des utopies européennes…