La France, forte d’une histoire multimillénaire, est dotée d’un patrimoine exceptionnel. Plus de 45 000 monuments sont protégés. Avec près de 90 millions de touristes étrangers en 2019, elle se classe parmi les pays les plus visités au monde. Pourtant, le secteur est menacé par une gestion hasardeuse. Notre patrimoine classique est souvent délaissé. Une grande opacité entoure l’utilisation du budget du ministère de la Culture et des collectivités locales, faisant la part belle au clientélisme. Heureusement, des associations se mobilisent pour tenter de sauver ce qui peut l’être. Mais ça ne suffit pas à pallier les carences de la gestion publique.
Le budget du ministère de la Culture a été porté en 2021 à 3,818 milliards d’euros. Une augmentation de 4,8% par rapport à 2020, notamment pour soutenir le secteur en crise à cause de la situation sanitaire. Pourtant, sur la plateforme participative gérée par Stéphane Bern, plus de 4000 sites historiques ont été signalés par le public comme étant menacés de ruines. Près de 50 églises et chapelles ont été détruites depuis l’an 2000. Sans parler des attaques malveillantes et autres accidents malheureux, mais ce n’est pas le sujet de cette tribune.
Ce constat n’est pas nouveau, même s’il est heureux qu’une réelle prise de conscience se soit opérée depuis le lancement par le très médiatique Stéphane Bern du loto du patrimoine il y a 4 ans. Voilà des années que l’Etat néglige son patrimoine, à tel point que certaines associations parlent de « patrimonicide ». Des outils existent, comme la base de données Mérimée des monuments historiques. Mais apparemment il y a un manque de surveillance manifeste et de suivi des dossiers. Reniant leur mission, certains hauts fonctionnaires qui ne sont là que pour faire carrière se rendent coupables des plus graves abandons, par peur de faire des vagues. On ne compte plus les chapelles, manoirs, moulins, casernes, fermes, hôtels, théâtres, couvents, gares, et j’en passe, qui tombent en décrépitude dans les petites villes et nos campagnes. Sous prétexte qu’on ne peut pas tout sauver, plus rien ne se fait.
Ne pas entretenir tout ceci constitue non seulement une faute morale, mais également un non-sens économique. Notre patrimoine représente aujourd’hui pas moins de 500 000 emplois en France. Il crée du lien entre les générations, lutte contre la désertification de nos campagnes et dynamise toute l’économie des territoires ruraux. Le patrimoine français est très justement réparti, à 50 % dans les villes et à 50 % dans les campagnes. Les Français en sont friands. Lors de l’édition 2019 des Journées européennes du Patrimoine, 12 millions de visiteurs avaient été recensés. Faute de voyager à l’étranger l’été dernier, le hashtag #CetÉtéJeVisiteLaFrance avait rencontré un vif succès sur les réseaux sociaux.
Rappelons également que notre patrimoine est un conservateur des métiers d’art, de nos talents et de nos savoir-faire artisanaux – ébénistes, marbriers, vitriers, graveurs… Il s’agit aussi d’une filière d’excellence pour les jeunes au travers de l’apprentissage (+ 51 % d’apprentis au travers de la mission patrimoine en 2019). Sans parler des chantiers-écoles qui se créent un peu partout.
Afin de pas rendre la situation irréversible, et parce qu’il n’y a pas de fatalisme, il est urgent d’appliquer des solutions simples :
- Réaliser un audit national afin de recenser les œuvres et monuments menacés de destruction faute d’entretien
- Encourager le mécénat et le marché de l’art par des mesures fiscales avantageuses
- Privilégier l’entretien des musées et du patrimoine permanent, parfois délaissés au profit d’aventures artistiques souvent hasardeuses
- Protéger le patrimoine des investisseurs étrangers, qui ont pour habitude de vendre les monuments par morceaux (cheminées, parquets, lambris, mobiliers…) avant de laisser un bâtiment fantôme
- Rendre transparente la gestion du budget du Ministère de la Culture et des collectivités territoriales
Il serait bon également de superviser les communes qui abusent parfois du droit de préemption afin de réaliser des opérations immobilières. Sous couvert d’une réhabilitation, elles laissent la situation se dégrader, détruisant l’édifice quelques années plus tard au prétexte qu’il est en mauvais état. Il faut également mettre les communes en demeure lorsqu’elles négligent le patrimoine religieux, à leur charge depuis la loi de 1905. L’association Urgences Patrimoine propose également de réduire les frais notariés pour l’acquisition des biens anciens qui sont trois fois plus élevés que pour l’acquisition d’un bien neuf. Cela encouragerait sans doute des primo-accédants à s’orienter vers l’acquisition d’une petite maison de caractère. Ce qui permettrait de continuer à les faire vivre, plutôt que de les condamner au délabrement.
Le patrimoine de France est l’âme de notre pays. Sans tomber dans une politique sclérosante en adoptant une vision muséifiée, il mérite une action nationale ambitieuse. Comme disait Anatole France : « Ne perdons rien du passé. C’est avec le passé que l’on fait l’avenir. »