Un phénomène étonnant est apparu fin janvier, donnant des sueurs froides aux loups de Wall Street. Des millions de boursicoteurs américains ont réussi à mettre à genoux des géants de la finance, en les prenant à leur propre jeu. Même s’il est peu probable de voir cette situation se reproduire de ce côté-ci de l’Atlantique, il semble que l’événement soit à marquer d’une pierre blanche et change la donne durablement dans les gratte-ciels de New-York.

 

David contre Goliath

 

Gamestop – propriétaire en France de Micromania – faisait l’objet de la part de fonds d’investissement d’une spéculation boursière dite dans le jargon de shortage. Sans trop rentrer dans le détail technique, il s’agit de parier sur la baisse de titres en vendant à découvert. On emprunte des titres qu’on n’a pas, pour les revendre peu après une fois que le cours a baissé, en espérant empocher la différence. Très lucratif en cas de succès, cette opération périlleuse, qui est à terme, peut vite tourner à la catastrophe en cas de hausse du titre, qui est potentiellement illimitée. Ce qui a été le cas ici.

Tout est parti d’une discussion sur un forum connu des milieux geek, Reddit. Un petit porteur s’est ému auprès de la communauté de voir le titre de l’entreprise lui rappelant son adolescence relativement sous-coté, même si la situation économique de Gamestop n’était pas flamboyante à cause du virage manqué de la vente de jeux dématérialisée. Des milliers d’internautes ont répondu à l’appel, attirés tant par le sauvetage de l’entreprise que par la perspective de mettre à mal les « vautours de la finance ». Le très médiatique patron Elon Musk a même soutenu cette opération sur Twitter, accélérant le mouvement. Tant et si bien que le cours de Gamestop qui valait 17$ a grimpé jusqu’à 480$, avant que la vente de ce titre, jugé trop « volatile »,  ne soit interrompue par les plate-formes de courtage.

 

Résultat, Melvin Capital, un des fonds à la manœuvre avec Citron Research, a dû couper ses positions, ayant perdu près de 3,75 milliards de dollars. Pour éviter la banqueroute, il a même  emprunté des milliards à ses concurrents.

 

Conscients de leur nombre, l’union faisant la force, les petits porteurs ont tenté d’autres sauvetages d’entreprises attaquées par les fonds spéculatifs. Avec succès. Une chaîne de cinéma AMC, les marques Nokia ou encore Blackberry ont ainsi vu leurs cours s’envoler et les spéculateurs de Wall Street perdre des fortunes.

 

Certains commentateurs n’ont pas hésité à comparer ce phénomène à l’attaque du Capitole le mois dernier : des foules désorganisées et en colère qui attaquent les lieux de pouvoir, le siège du parlement ou bien la bourse de Wall Street. Une révolte des petits contre les gros.

 

Un « populisme financier » est-il né ?

 

Pour être crédible, cet activisme boursier devra s’inscrire dans la durée. Mais pour l’ancien eurodéputé britannique Nigel Farage, chantre du Brexit et fervent soutien de Donald Trump lors des présidentielles américaines, cela ne fait aucun doute. Il s’en est expliqué dans une tribune publiée sur Newsweek. Pour lui, l’affaire Gamestop est une revanche des petites gens contre les élites qui ont fait sécession, Wall Street en étant un des symboles les plus marquants. Ce sentiment de sécession est renforcé depuis la crise financière des subprimes de 2008.

 

Fait notable dans notre histoire, celle-ci a réuni les populistes de droite et de gauche, note Nigel Farage. Ainsi, le député ultra-progressiste, vedette de l’aile gauche démocrate, Alexandria Ocasio-Cortez, a suggéré qu’une enquête parlementaire soit menée pour savoir pourquoi les plate-formes de courtage ont arrêté la vente de ceux de Gamestop, au mépris de toutes lois du marché financier. Ce qui est une bonne chose pour notre député britannique, lui qui dénonce depuis longtemps « la funeste trinité des grosses banques, grosses entreprises et politiques haut placés ». Cette collusion est illustrée dans l’affaire Gamestop par Janet Yellen, nouvelle secrétaire d’État au trésor de Joe Biden. Pour Nigel Farage, son implication ne fait aucun doute, dans la mesure où elle a touché plus de 7 millions de dollars ces dernières années de la part des grands noms de Wall Street pour avoir donné des conférences.

 

L’avenir nous dira donc si un nouveau paradigme s’est mis en place sur la place boursière américaine, ou s’il s’agit d’une fronde passagère, comme le mouvement Occupy Wall Street en 2008, mais sous une autre forme et cette fois avec de réelles répercussions économiques pour les « vautours de la finance ». Il est dommage que les détails de cette actualité soient passés relativement sous les radars de nos médias, alors que les médias anglo-saxons ont moins de scrupules. Peut-être faut-il éviter que les classes moyennes et populaires comprennent trop vite que les règles du judo peuvent aussi marcher dans la Finance…

Louis Picq

Louis Picq

Etudiant en journalisme