La politique est d’abord une affaire de symboles. Ce qui s’est passé à Péronne, le 12 juin 2021, entre Eric Dupont-Moretti et Damien Rieu en est une terrible illustration.
C’est, en effet, dans ce canton du département de la Somme que le Garde des Sceaux avait décidé de croiser le fer avec le RN. Cigarette aux lèvres, chaussures de golf marron, chemise grande ouverte sortie du pantalon façon crado-chic, le ministre en croisade anti-RN avait choisi de feindre la décontraction pour prendre à partie le candidat de Marine Le Pen aux élections départementales et lui porter une estocade qu’il croyait facile.
Pourtant, rien ne se passa comme prévu. Il croyait être le toréro, il fut le toro. Il croyait être le procureur, il fut l’accusé ; il croyait pouvoir exécuter par le verbe, il se tua de ridicule.
Et le vaisseau amiral sombra
Ce qui devait être une démonstration de domination intellectuelle et politique du ministre-candidat tourna, en effet, au naufrage de communication et, pour son camp, au Trafalgar politique. En 4 minutes 18 secondes, on vit le Garde des Sceaux, visiblement plus habitué aux textes de théâtre qu’à l’improvisation, s’enliser puis se noyer ; on vit le ténor du barreau se perdre dans des arguments poussifs d’un autre âge et bredouiller ; on vit le vaisseau amiral du gouvernement sombrer corps et biens.
Ignorant que la politique est l’école de l’humilité et non un prétoire où il est aisé d’intimider de simples jurés par des effets de manche, le bretteur macroniste fut victime de sa méconnaissance de l’art et des codes politiques : il ne maîtrisa rien, ni la situation, ni l’argumentation, ni la force symbolique des gestes, ni la résonance des mots, ni l’effet loupe des images. Il sous-estima enfin la capacité des réseaux sociaux à contourner la complaisante information officielle pour relayer avec délectation, au-delà de trois millions de vues, la ministérielle déculottée.
Le langage gestuel : un cas d’école
La scène a toute sa place dans un cours de communication : d’un côté, un homme qui n’a plus d’autorité que celle de son âge, debout, l’index ou la main agressivement pointés vers son interlocuteur, un culbuto qui finit par plier le haut du corps en avant, à la manière obséquieuse d’un valet de chambre, un boxeur groggy qui, au fil de l’échange fuit dans le coin du ring retrouver sa respiration ; en face de lui, des jeunes gens sagement assis à la terrasse d’un café, dont l’un, pull de couleur vive sur les épaules, qui, avec le plus grand calme, sûr de lui, le regard droit, insubmersible, riposte à la charge en prolongeant un verbe clair par des gestes éloquents.
Le langage non verbal de l’échange désigne l’agresseur mais aussi celui qui est immédiatement dominé. Comme le candidat à l’examen qui tente vainement de rassembler des idées brouillonnes, Dupont-Moretti est littéralement séché : pétrifié d’entrée par la surprise puis submergé par le doute, il finit par se retrancher dans une posture d’allégeance symbolique pour, enfin, se résoudre à la fuite.
Baladé par la muléta argumentaire de Damien Rieu
Mais c’est l’énergie des convictions et la puissance du verbe qui écroulèrent Dupont Moretti. Comme l’avocat qui n’a pas étudié le dossier, il a cru pouvoir opposer à des formules percutantes et pertinentes des arguments d’une puérilité confondante, datés, voire préhistoriques, comme cette référence au juge Michel assassiné il y a quarante ans. Le politicien débutant aurait dû se rappeler que derrière la barre des prétoires, face à des jurés citoyens, on plastronne davantage qu’on n’apprend à briller par la repartie.
Très rapidement, le ministre-candidat dût se réfugier dans de laborieuses tentatives d’autojustification avant de finir en vrille par des attaques de nature sexuelle.
Cette séquence constitue pour la Macronie un point de rupture. Le poids lourd du gouvernement, le champion toute catégorie a été mis KO en quelques minutes par un militant RN, par un simple candidat aux élections cantonales, par un enfant du peuple.
Cette séquence a mis à jour la faiblesse d’un régime incapable de faire émerger, même de la crème de la société civile, de grands politiques et encore moins de grands ministres. Mais surtout, ce que révèle cet épisode de campagne, ce n’est pas tant la mise au rancard allégorique d’un politicien supplétif devenu « has been » avant même d’avoir eu le temps d’exister, c’est plus largement la poussée d’une jeune génération, une génération qui ne met pas le genou à terre devant les idoles de papier, une génération qui exprime naturellement la voix du peuple parce qu’elle en est issue, une génération qui laisse derrière elle un ancien monde poussif et désuet et s’apprête à prendre sa place dans le monde qui vient.