Le 5 mai dernier, la Cour constitutionnelle allemande a lancé un ultimatum à la Banque centrale européenne, lui laissant trois mois afin de démontrer en quoi les opérations de « quantitative easing » (assouplissement monétaire en bon français), que cette dernière mène depuis 2015, étaient bien conformes  au mandat qu’il lui a été confié par les Etats de la zone euro.

Au-delà des possibles conséquences économiques et financières sur lesquelles nous ne reviendrons pas ici, cette décision du juge constitutionnel allemand a un véritable sens juridique et politique.

En refusant de se plier à l’avis de la Cour de justice européenne, qui avait validé fin 2018 le programme de la BCE, le Tribunal constitutionnel allemand s’affirme comme une forme de lanceur d’alerte souverainiste, soucieux avant tout des intérêts des citoyens allemands. Il donne en cela en grande partie raison à ceux qui l’ont saisi : des universitaires, des responsables politiques proches de l’AFD et de la CSU, mais également 35 000 citoyens allemands.

Cette décision va plus loin que jamais dans la jurisprudence constitutionnelle allemande qui, à travers les différents arrêts « So lange », reconnaît la primauté du droit européen « aussi longtemps que » (so lange)  ce dernier offre une protection des droits fondamentaux globalement équivalente à celle de la loi fondamentale allemande. Par ailleurs, les Allemands ont toujours refusé de modifier leur loi fondamentale, équivalent de notre Constitution, pour l’adapter aux successifs traités européens.

Depuis plus de 40 ans, les juges et les gouvernements français ont fait un choix tout autre. Par les arrêts « Jacques Vabre » de 1975 et « Nicolo » de 1989, la Cour de cassation et le Conseil d’Etat ont reconnu la primauté du droit européen de façon quasi inconditionnelle. En outre, à chaque fois qu’un traité européen a été contraire à la Constitution française, nos gouvernements et nos présidents de la République successifs ont décidé de modifier notre Constitution et non les traités européens. La plupart du temps sans même prendre la peine de faire approuver ces modifications de notre loi suprême par le peuple souverain au moyen du référendum.

Le juge allemand rappelle donc à ses confrères, qu’ils soient Européens ou Français, certains fondamentaux de notre système démocratique. Dans la décision « Lisbonne » du 30 juin 2009, le Tribunal constitutionnel allemand rappelait déjà qu’ « il n’y a pas de peuple européen » et que partant de là, établit un lien obligatoire entre le peuple, l’Etat et la souveraineté : « la souveraineté réside dans la prérogative de la constitution allemande de garder le dernier mot, en tant que droit d’un peuple de trancher directement les questions fondamentales relatives à sa propre identité », «  la préservation de la souveraineté est exigée par le principe de démocratie dans le cadre du système constitutionnel en vigueur ».

Dans sa décision du 5 mai dernier, le Tribunal constitutionnel allemand enfonce le clou en rappelant que l’Union européenne n’est pas devenue « un Etat fédéral » et que les Etats membres restent les « maîtres des traités ».

La doctrine du Tribunal constitutionnel allemand tourne définitivement et ostensiblement le dos à toute une série d’élucubrations linguistiques des thuriféraires de l’Union européenne : « la fédération d’Etats-Nations », oxymore inventé par Jacques Delors ; « la Commission européenne, gardienne des traités » psalmodiée par les présidents de cette dernière ou encore le concept fumeux de « souveraineté européenne » agité par Emmanuel Macron.

En rappelant que le droit du peuple souverain et donc la démocratie reste un droit fondamental reconnu et garanti par la loi fondamentale allemande, le Tribunal constitutionnel allemand est plus proche de la célèbre formule du Général De Gaulle : « En France, la cour suprême, c’est le peuple ».

Même si, pour l’instant, les circonstances sanitaires ont prévalu, cette décision du Tribunal constitutionnel allemand pourra être invoquée demain par d’autres Etats-membres poursuivis par la vindicte de Bruxelles, de la Cour de justice européenne ou de la Cour européenne des Droits de l’Homme, tels que la Hongrie ou la Pologne.

Cette décision pourrait en effet, demain, s’appliquer à d’autres domaines que monétaire et financier. En matière d’immigration, de lutte contre le terrorisme, de communautarisme ou encore de politique industrielle, nous pourrions revenir à une conception plus saine, plus pragmatique de la coopération européenne, plus respectueuse de la souveraineté des peuples et des Etats européens.