« Le nationalisme, c’est la guerre » : initialement prononcée par François Mitterrand devant le Parlement européen le 17 janvier 1995, cette affirmation est devenue l’un des lieux communs les plus éculés du discours bien-pensant. Difficile de trouver un politicien du Système, une célébrité subventionnée ou éditorialiste en manque d’inspiration qui n’ait déjà recouru à cette citation bon marché – particulièrement lorsqu’il s’agissait de dénoncer ceux pour la nation avait encore un avenir.

Il est d’autant plus frappant de noter la parution en France d’un essai remarquable de Yoram Hazony, grand philosophe israélien largement commenté dans le monde anglo-saxon, dont le titre sonne comme une provocation aux oreilles sensibles : Les vertus du nationalisme.

S’inscrivant dans le contexte ouvert par le référendum sur le Brexit et le mandat de Donald Trump à la présidence des États-Unis (dont il fut l’un des soutiens intellectuels majeurs avant de dénoncer l’irresponsabilité de ses dernières semaines au pouvoir), le professeur Hazony se livre à un vibrant plaidoyer pour l’État-nation indépendant comme modèle d’organisation humaine.

Cette forme de régime aujourd’hui si décriée en Europe lui paraît à la fois offrir « le plus grand espace de liberté pour développer l’organisation collective », fournir à l’État « la seule base connue pour développer des institutions libres et des libertés individuelles » et permettre « une compétition fructueuse entre les nations », débarrassée de la volonté hégémonique typique de sa forme rivale : l’impérialisme – système politique dans lequel une autorité supérieure place sous sa coupe de multiples nations, auxquelles elle peut éventuellement déléguer une certaine autonomie.

Loin de se limiter à des considérations contemporaines, Yoram Hazony procède à une analyse généalogique de cet affrontement millénaire en puisant dans l’une des sources majeures de la civilisation occidentale : les Écritures bibliques. L’Israël antique lui apparaît en effet comme le premier État national, voué par Dieu à vivre selon ses propres lois, ses prophètes et son peuple face aux tentatives de soumission impériale égyptiennes, babyloniennes ou assyriennes.

La préférence biblique pour l’Etat-nation aurait été occultée temporairement par la fusion entre le christianisme et l’Empire romain (perpétuée dans la papauté médiévale et le Saint-Empire germanique), avant de refaire surface à l’époque moderne sous l’influence de la Réforme protestante, fondée en partie sur un retour vers l’Ancien Testament. L’Etat-nation s’est progressivement imposé comme la forme politique dominante en Occident jusqu’à l’après-Seconde-Guerre-mondiale.

Tenus injustement pour responsables des crimes abominables perpétrés par le régime nazi (dont Hazony établit qu’il s’inscrivait au contraire dans la continuité historique de l’impérialisme allemand), le nationalisme et ses principes ont été méticuleusement déconstruits par les « élites éduquées ». Il s’agit pour celles-ci de substituer aux États-nations indépendants un nouvel impérialisme jugé acceptable : celui des organisations supranationales et de l’individualisme libéral.

Leur idéal est fondé sur une vision abstraite du contrat social, issue à la fois des écrits de John Locke et de l’utopie de la « fédération universelle » portée par Emmanuel Kant. Une telle entité engloberait un ensemble d’« États neutres » séparés de leur nation, de leur identité et de leur continuité historique. L’Union européenne constitue l’incarnation parfaite de cette chimère aux yeux de l’auteur.

Hazony démontre brillamment comment une telle vision – initialement motivée par un désir de paix et de concorde – ne peut aboutir qu’à la discorde et à l’écrasement brutal des peuples qui refusent d’abdiquer leur singularité. Cette tendance répressive de l’impérialisme libéral se manifeste dans l’opprobre constamment déversé sur un ensemble de pays « dissidents » : les nations d’Europe centrale refusant les diktats migratoires de Bruxelles, la Grande-Bretagne faisant le choix du Brexit ou encore Israël défendant souverainement son droit d’exister face à la « communauté internationale ».

On peut regretter que Yoram Hazony n’accorde pas une place plus grande à la France dans ses considérations. Il reconnait bien sûr que notre pays a constitué l’un des principaux modèles de l’État-nation, sans passer par la Réforme protestante mais grâce à « l’histoire particulière du catholicisme français », lequel prit très tôt « un caractère national s’inspirant du royaume biblique de David ». Son analyse aurait néanmoins gagné à préciser que la France a toujours constitué le principal pôle de résistance face aux tentatives impériales en Europe continentale. Cette constante de notre géopolitique a notamment été révélée par l’immense historien Jacques Bainville.

Les vertus du nationalisme est un ouvrage fascinant, qui démontre que les partisans de la nation n’ont pas seulement pour eux la force de la raison et des faits ; ils peuvent aussi s’appuyer sur une transcendance morale à vocation universelle. Une leçon à garder en tête face à l’intimidation des mondialistes – lesquels ne sont rien d’autre que des impérialistes qui s’ignorent.