« Celui qui a le contrôle du passé a le contrôle du futur. Celui qui a le contrôle du présent a le contrôle du passé. » (1984, George Orwell)

Nos élites médiatiques et politiques sont tellement inféodées à la culture américaine qu’aucune lubie progressiste outre-atlantique ne nous est épargnée. Après la théorie du genre, expliquant que celui-ci n’est pas attribué à la naissance mais n’est qu’une construction sociale, voici la cancel culture, qui sévit depuis un peu plus d’un an maintenant, amplifiée par le mouvement Black Lives Matter. La boîte de Pandore a été ouverte, nous boirons donc le calice jusqu’à la lie.

Rien de nouveau depuis Staline

La cancel culture pourrait se traduire par « culture de l’effacement ». Pour faire simple, tout ce qui contrevient aux nouveaux chiens de garde de l’ordre moral, à savoir toutes les minorités dites opprimées par l’homme blanc hétérosexuel européen, doit être traqué, dénoncé, lynché – médiatiquement du moins – puis effacé de l’espace public, des archives ou encore de la culture populaire. Rien ne doit échapper aux fourches caudines du camp du Bien. Littérature, cinéma, musique, architecture… tout est passé en revue pour savoir si l’œuvre et/ou l’artiste ne serait pas raciste, homophobe, grossophobe,  misogyne, ou que sais-je encore. Quitte à faire fi des règles de jugement élémentaires consistant à séparer l’œuvre de l’auteur, et à replacer ladite œuvre ou ledit auteur dans son contexte historique et culturel.

Voyage au bout de l’absurde

Déboulonnage de statues, titres de livres remplacés, œuvres interdites de bibliothèque, artistes boycottés, professeurs d’université interdits d’enseignement, films supprimés d’un répertoire, conférenciers annulés, harcèlement en ligne d’un youtubeur… la cancel culture peut prendre bien des formes et n’importe quel groupe se sentant opprimé peut s’emparer de n’importe quel sujet et le faire savoir bruyamment jusqu’à obtenir gain de cause. Cela commence souvent par une pétition relayée sur les réseaux sociaux, reprise par les médias toujours avides de nouveauté, et enfin soutenue par un personnel politique en mal de notoriété ou ayant toujours peur d’être jugé rétrograde.

C’est ainsi que le célèbre roman d’Agatha Christie Les Dix petits nègres a été rebaptisé Ils étaient 10, que les statues de Christophe Colomb sont déboulonnées aux États-Unis ou celle de Colbert en France. L’année dernière, la plate-forme HBO a supprimé provisoirement de son répertoire le film Autant en emporte le vent. Plus récemment, c’est la plateforme Disney+ qui a censuré pour les enfants des grands classiques comme Dumbo, Peter Pan ou la Belle et le Clochard en raison de clichés jugés racistes. Une université américaine a mis fin à une exposition sur John Wayne à cause de propos de l’acteur jugés racistes et homophobes tenus en… 1971. Il y a peu, un professeur d’université américaine a déclaré fièrement avoir banni de ses cours l’Iliade et l’Odyssée sous prétexte que l’œuvre d’Homère contribuait entre autre à la « culture du viol ». Pour les 90 ans de Babar, France Culture s’est interrogée : « Babar est la bonhomie incarnée. Mais derrière l’éléphant tiré à quatre épingles, faut-il lire une apologie du colonialisme ? » Cette liste n’est bien évidemment pas exhaustive et ne souhaite pas l’être afin de ne pas entraîner le lecteur dans une grosse déprime.

A quand un retour à la raison ?

Le célèbre interprète de Mr Bean, Rowan Atkinson, a récemment comparé la cancel culture à « l’équivalent numérique de la horde médiévale errant dans les rues à la recherche de quelqu’un à brûler ». Et l’acteur de déplorer : « Le problème que l’on a sur Internet, c’est qu’un algorithme décide de ce que l’on veut voir, ce qui finit par créer une vision simpliste, binaire de la société. Cela devient ‘vous êtes avec nous ou vous êtes contre nous. » Une lucidité bien rare dans ce milieu là. L’été dernier, une lettre ouverte réunissant 150 personnalités comme Margaret Atwood, Salman Rushdie, Kamel Daoud, Francis Fukuyama, Bill T. Jones, Noam Chomsky, l’auteur féministe Gloria Steinem, le trompettiste de jazz Wynton Marsalis ou encore J. K. Rowling a été publiée sur le site du Harper’s Magazine. Cette missive réclamait la fin de cette tyrannie poussant de nombreuses personnalités à des excuses publiques pour des prises de position jugées insupportables par une partie de la « twittosphère ». Malheureusement, sans succès.

Il est cocasse de remarquer que ces belles âmes signataires, se déclarant à l’époque farouches opposants à Donald Trump, ne reconnaissent pas les enfants de la société qu’elles ont engendrés. Il est trop tard pour faire marche arrière. Comme à l’époque de la Terreur, la révolution ira à son terme. Il est à espérer qu’elle s’éteigne rapidement d’elle-même, lorsque ses thuriféraires se seront entre-dévorés, empêtrés qu’ils sont dans leurs luttes intersectionnelles.

 

Louis Picq

Louis Picq

Etudiant en journalisme