Victoire de la souveraineté nationale, défaite idéologique de M. Macron : c’est ce paradoxe étonnant que souligne la belle victoire du Rafale en Grèce. Qu’est-ce qu’en effet le succès de l’avion d’armes français à Athènes sinon le triomphe éclatant d’une diplomatie souveraine, d’un modèle d’armée indépendant et d’une industrie nationale performante face aux utopies de l’autonomie stratégique européenne serinée de manière stérile à longueur de discours par M. Macron depuis 2017 ?

 

Le succès du Rafale est, en premier lieu, celui d’une diplomatie non alignée sur les lâches abandons de l’OTAN, de l’Union européenne et de nos soit-disant alliés européens, l’Allemagne en première ligne. Voilà des années en effet que le Grand Turc menace les pays du bassin méditerranéen : par les migrations qu’il utilise comme moyen de déstabiliser les pays européens, par un partage illégal de la Mare Nostrum qui viole le droit international et l’intégrité territoriale de la Grèce et de Chypre, et enfin par l’utilisation cynique des terroristes islamistes issus de l’Etat islamique, qui, de Syrie, sont transférés hier en Libye et aujourd’hui dans le Haut-Karabagh après avoir été soignés, armés et payés par le Turc. Voilà des années que l’OTAN, l’Union européenne et nos « partenaires » britannique, allemand, italien et espagnol, qui, tous ont armé le bras turc, ne soufflent mot sur ces menaces pourtant très directes sur leur sécurité. Voilà des années qu’ils sont aux abonnés absents de la solidarité atlantique et européenne envers Athènes et Nicosie, agressés quotidiennement dans leur espace souverain. Seule la France, pour une fois, a vu lucidement le risque mortel que la stratégie néo-ottomane fait planer sur les pays de la Méditerranée. Seule la France a eu le courage de la dénoncer et de s’y opposer. Seule dans ce combat diplomatique, elle a pu compter sur l’Egypte et les EAU, pourtant ni membres de l’OTAN ni de l’Union européenne. Le contrat du Rafale en Grèce est bien le succès d’une diplomatie non alignée, pleinement libre des liens mortifères d’alliances mal bâties où s’égare la France, en un mot : gaullienne. C’est-à-dire le contraire de la diplomatie menée par M. Macron jusqu’à présent, où la souveraineté nationale devenait européenne, l’indépendance nationale, une introuvable et indésirable autonomie stratégique européenne. C’est le premier paradoxe, le moins souligné, on le comprend car c’est l’aveu même d’une défaite idéologique des principes sur lesquelles était bâtie jusqu’à présent la diplomatie macronienne…

 

« Une diplomatie sans armée est une musique sans instruments » : si cette maxime de Frédéric II ne s’est vérifiée dans le cas grec, c’est que la France entretient un modèle d’armée complet, puissant et indépendant pour soutenir sa diplomatie. Le succès du Rafale en Grèce, c’est aussi celui d’une indépendance militaire dont M. Macron est l’héritier. Si, certes, l’actuelle loi de programmation militaire est exécutée à l’euro près, que ne voit-il pas la contradiction de fond qu’il y à financer un modèle d’armée national mais à le dévoyer dans l’utopie d’une armée européenne, dans une OTAN sous tutelle américaine, plus obsédée par la Russie que par le danger islamiste et de le noyer dans une autonomie stratégique européenne dont personne ne veut en Europe et aux Etats-Unis ? Le conflit dont la France a eu sa part (dans l’incident gravissime de l’illumination à trois reprises par un radar de conduite de tir d’une frégate turque de la frégate Courbet) a démontré au contraire tout l’intérêt diplomatique de disposer d’une armée non seulement performante mais indépendante. Or le cadre des alliances dans lequel M. Macron continue d’inscrire sa politique de défense est celui d’une spécialisation des compétences, de la mutualisation des capacités et de l’intégration, c’est-à-dire le contraire des fondements sur lesquels a été bâti l’armée française depuis le 7 mars 1966. C’est le deuxième paradoxe qu’il faudra me trancher en 2022.

 

Enfin, le succès du Rafale en Grèce est largement dû au modèle national qui a organisé l’industrie de défense française en systémier sur l’indépendance des moyens technologiques et industriels groupés autour de systémiers et de PME/PIM de rang mondial. Qu’est-ce que le Rafale si ce n’est la maîtrise des technologies d’avenir, c’est-à-dire de celles qui bâtissent l’indépendance et la puissance d’une nation ? Conçu d’emblée comme un avion d’armes polyvalent, évolutif, cet avion d’armes est la quintessence, comme les sous-marins et le porte-avions nucléaire, du génie industriel français. Sa conception est née du principe que l’on ne fait bien la guerre qu’avec les matériels que l’on a soi-même conçus, développés, produits et maintenus. Sa polyvalence répond aux besoins de la position de la France dans le concert des nations puissantes : dissuasion nucléaire, frappe dans la profondeur, supériorité aérienne. Or, M. Macron inscrit sa politique dans l’armement, héritière d’une doctrine de défense indépendante dans la seule dépendance mutuelle avec l’Allemagne, nation qui ne partage avec la France ni intérêts diplomatiques (le cas grec le démontre amplement) ni doctrine de défense. Comment la divergence diplomatique et militaire amènerait-elle une convergence industrielle ? C’est le troisième paradoxe qu’il me faudra trancher, là aussi, en 2022, non seulement avec l’Allemagne mais avec le Royaume-Uni.

 

Alors, oui, je me réjouis de l’exportation du Rafale en Grèce, parce qu’au-delà de ses fruits diplomatiques, commerciaux et industriels, elle rappelle avec éclat que la souveraineté paie et constitue pour la France la seule voie d’avenir.

Pierre Nord

Pierre Nord

Spécialiste du secteur de la défense