82,5 milliards d’euros. C’est le montant incroyable du déficit commercial de la France en 2020 ; ce gouffre commercial est un triste record en Europe. Considérer que notre situation commerciale serait uniquement liée à la Covid-19 serait une arnaque intellectuelle : ceux qui s’adonnent à cette explication font preuve d’un aveuglement mortifère pour notre économie, nos emplois, notre niveau de vie.

Tout d’abord, cet étiage avait déjà été atteint en 2012 et en 2018. Ce déficit ne fait que suivre une tendance longue amorcée au début des années 2000 conjointe au déclin industriel et au décrochage économique.

Soyons clairs : la balance commerciale est le solde des importations et des exportations de biens agricoles, des biens manufacturés et de la facture énergétique -notamment des hydrocarbures. A moyen terme, un pays en excédent accumule des richesses, un pays en déficit s’appauvrit.  Hélas, la France dispose d’un déficit exceptionnellement élevé par rapport au reste de l’Union Européenne.

Pire, la situation ne va pas aller en s’améliorant : le fort impact du Covid-19 démontre d’ailleurs notre dépendance à un nombre désormais bien trop restreint d’industries stratégiques comme l’aéronautique (35 mds d’€ d’exportation en 2020, en chute de 45%) ou le secteur automobile (40.4 mds d’€ -18%). L’effondrement de ces secteurs est tel qu’il a dépassé la réduction exceptionnelle de notre déficit énergétique (-25.7 mds d’€, le plus faible depuis 2004). D’autres pays comme l’Allemagne ont pu compenser les difficultés de ces secteurs de pointe par le maintien de leurs autres secteurs industriels, en particulier les biens d’équipement.

Or, la machine économique mondiale va repartir avec d’énorme décalages entre les différents secteurs. Personne ne table aujourd’hui sur une reprise immédiate de secteurs comme l’aéronautique, alors que notre facture énergétique peut tout à fait repartir à la hausse et accentuer notre déficit commercial vers de nouveaux records.

Si la situation actuelle est le résultat de décennies de trahisons et d’incompétence du système qui nous gouverne, il ne faut pas nier la responsabilité de l’Union Européenne. Les traités européens prévoient des mesures de lutte contre les déséquilibres budgétaires mais rien n’est fait réellement pour corriger les déséquilibres commerciaux. Alors que la France connaît un fort excédent commercial avec le reste du monde (25,2 mds d’euros), son déficit avec les autres pays européens est colossal, à 107 mds d’euros. AU contraire, un pays comme les Pays-Bas enregistre un excédent intra-zone de 170 milliards d’€ !

Le mythe de l’harmonisation européenne inventée dans les années 80 et 90 s’effondre face à la réalité économique du marché unique qui ruine la France.

Toutefois, ne cédons pas au fatalisme. Ce déficit commercial, notre effondrement industriel, notre déclassement dans le monde n’est pas inévitable. De nombreux pays comme les dragons asiatiques ou même, simplement nos voisins européens ont su mener une vraie politique industrielle et commerciale offensive en quelques années.

Comment tolérer qu’Emmanuel Macron prétende tirer les leçons de la crise quand son plan de relance de 100 milliards d’€ ne prévoit qu’une politique de « relocalisation » de 600 millions d’euros ?

600 millions d’€, c’est 0.7% de notre déficit commercial ! Autant dire une goutte d’eau. Notre effort de réindustrialisation doit être massif. Nul besoin d’ailleurs de s’endetter quand on connait la richesse de l’épargne française, dont les centaines de milliards d’euros ne sont pas investis dans l’économie productive mais sur des livrets stériles avec des taux d’intérêt proche de 0% !

Il est aussi grand temps d’investir de 4 à 5% du PIB dans la recherche et le développement tout en favorisant la valorisation industrielle de nos découvertes sur le sol français.

Enfin, il faut revoir la façon dont fonctionne l’Union Européenne pour rééquilibrer les relations commerciales au sein du marché unique et bien sûr, nous protéger de la mondialisation sauvage. Il n’est par exemple plus tolérable que nos impôts subventionnent le développement des pays de l’Est qui ont pu ainsi attirer Bridgestone ou de continuer à importer de Chine des produits qui ne respectent pas nos normes sociales, sanitaires et environnementales.

Cessons aussi la naïveté avec le rachat de nos grands groupes, parfois leur dépeçage, par des fonds étrangers. Lafarge, Alstom, Péchiney, Arcelor, Alcatel et tant d’autres entreprises démontrent de la naïveté des pouvoirs publics dans les cessions de grandes entreprises.  Surtout quand, en face, nous faisons face à des mastodontes soutenus et protégés par leurs Etats. Le grand marché libre, sans entrave et sans intervention publique n’existe pas. Le commerce international est éminemment politique. Nos voisins britanniques ont pu déployer une véritable capacité à nouer des relations commerciales capable de contrebalancer certains effets du Brexit. En 2016 Theresa May a créée, en plus du « Board of Trade » (un comité interministériel sur le commerce), un grand ministère du Commerce International, composé de 200 négociateurs de haut-vol, qui coopère en permanence avec les entreprises britanniques et a réussi à conclure en 4 ans 37 accords avec 94 pays différents. Nous pourrions aussi nous inspirer du METI au Japon.

En clair, en plus d’une vraie politique économique et fiscale de réindustrialisation, nous devons appliquer une vraie politique de protectionnisme intelligent fondée sur la protection de nos intérêts et l’établissement de relations commerciales fondées sur la réciprocité et le respect. Quant à l’Union Européenne, elle ne doit plus être un espace de concurrence sauvage et déséquilibrée, elle doit revenir à son projet initial : la coopération. Mais pour cela, elle doit sortir des dogmes et redevenir pragmatique.

La France a encore de nombreux atouts. Il lui reste à choisir enfin des dirigeants patriotes !

Alexandre Fernique

Alexandre Fernique

Géographe