Le continent européen est, à bien des titres, le foyer de la démocratie : de la Grèce antique jusqu’aux initiatives populaires suisses, en passant par le parlementarisme britannique et la Révolution française, la place du peuple dans la prise de décision publique semble s’étendre de siècle en siècle. Selon cette logique, l’Union Européenne aurait dû accoucher d’un fonctionnement des plus démocratiques ; malheureusement, il n’en est rien !
En premier lieu, l’influence des lobbys à Bruxelles tend à annihiler toute décision prise au nom et en faveur du peuple, au profit exclusif de ceux qui ont les moyens, non pas de contourner la loi, mais bien de la façonner. Une réglementation souple et velléitaire, une déconnexion flagrante des instances européennes envers les citoyens, et une capacité à influencer un marché de 450 millions de consommateurs potentiels expliquent aisément pourquoi les députés européens, et plus encore les fonctionnaires et commissaires de l’UE, sont les cibles privilégiées des lobbys.
Mais au-delà des pollutions extérieures, la structure interne de l’Union Européenne elle-même se trouve viciée. Viciée d’une part parce qu’elle ne respecte pas le sacrosaint principe de séparation des pouvoirs : à titre d’exemple, le pouvoir législatif est détenu principalement par le Conseil de l’Union Européenne qui n’est autre que la réunion des exécutifs des pays membres. Viciée d’autre part car la seule instance élue par les peuples des Etats-membres, à savoir le Parlement européen, est sans aucun doute la moins puissante, partant la moins utile et efficace, des institutions de l’Union Européenne.
Nous arrivons alors tout naturellement à l’imbroglio institutionnel que constitue le fonctionnement de l’Union. Dans toute démocratie saine, les détenteurs du pouvoir doivent être facilement identifiables : un parlement, souvent bicaméral, vote les lois tandis qu’un gouvernement est chargé de les faire respecter. Ici, non ! Si le pouvoir judiciaire est assez facilement identifiable (encore que l’on confonde assez souvent la CJUE et la CEDH qui n’ont pourtant rien à voir), le pouvoir exécutif est réparti entre la Commission et le Conseil, tandis que le pouvoir législatif, lui, a été réduit en confettis et donné pour partie à la Commission, au Conseil et au Parlement, avec des modalités d’adoption des lois très différentes et absconses selon les procédures. Ce véritable nœud gordien a deux conséquences dommageables : l’incompréhension et le désintérêt des citoyens, explication probable de l’abstention massive lors des élections européennes ; la dilution de la responsabilité dans la prise de décision, les uns se défaussant systématiquement sur les autres.
Mais là où s’illustre brillamment la technocratie européenne, c’est bel et bien dans son mépris constant du référendum. Si le référendum est l’outil le plus démocratique qui soit, c’est parce qu’il permet au peuple souverain de s’exprimer sur une question claire et précise, débarrassée des vicissitudes des campagnes électorales fangeuses au cours desquelles on s’attaque aux hommes plutôt qu’aux idées : le « Oui » ne se fait pas offrir de costumes, le « Non » n’agresse ni policier ni magistrat. Or, non seulement l’Union Européenne ne prévoit aucune possibilité référendaire dans ses traités, mais elle se permet de traiter avec morgue les peuples – Français, Danois, Néerlandais, Irlandais et plus récemment Britanniques – qui osent « mal » voter !
En dépit de l’apparente complexité du problème, il y a pourtant une explication simple à ce qui précède : l’Europe n’est pas une Nation. La démocratie existe seulement lorsque le « demos » exerce le « cratos » ; or, pour admirable que soit la civilisation européenne, elle ne constitue pas, et ne constituera jamais, une nation unie aux intérêts convergents.
Voilà pourquoi cette construction européenne a nécessairement abouti à une vision technocratique du pouvoir dont il est urgent de se débarrasser.