La révolution apportée par le réseau Internet a transformé en profondeur nos modes de vie. Mais ces transformations impliquent de nouveaux défis technologiques, industriels et sécuritaires pour notre société.

Parmi ces défis, la sécurisation du réseau national est traditionnellement mésestimée par la classe politique, bien souvent par méconnaissance technique. Il est vrai que l’architecture du réseau national et sa constante évolution (ADSL,VDSL, fibre optique, sans oublier les 3G, 4G, 5G, etc.) rendent complexe un domaine qui est déjà par nature très spécialisé et par conséquent compliqué à appréhender.

Lorsqu’un ordinateur se connecte à Internet, les informations (mails, vidéos, fichiers …) qu’il envoie ou qu’il reçoit transitent par des infrastructures matérielles que l’on appelle des routeurs de cœur de réseaux. Or ces routeurs peuvent potentiellement intercepter, analyser, modifier, voire de détruire les données qui passent par eux.

A ce jour, les routeurs de cœur de réseaux de notre pays sont principalement fabriqués par l’Américain CISCO ou le Chinois Huawei. Ce dernier prend d’ailleurs une part de marché de plus en plus importante du fait d’une politique tarifaire agressive.

Or, depuis l’affaire Snowden, l’on sait que la NSA n’a pas hésité à piéger les routeurs CISCO à des fins d’espionnage et de surveillance.1

Quant à l’entreprise Huawei, outre le fait que son dirigeant, Ren Zhengfei, soit un ancien officier de l’armée chinoise, elle est également suspectée par de nombreux pays d’utiliser ses routeurs à des fins d’espionnage.2

La facilité a conduit durant des décennies les différents gouvernements français et l’Union européenne à ne considérer le déploiement physique du réseau presque exclusivement sous l’angle budgétaire, sans jamais tenir compte de la souveraineté numérique ni de la sécurité des données. Le Sénat avait pourtant tiré la sonnette d’alarme.

 

Avertissements et prise de conscience tardive

Quelques rapports sénatoriaux, comme le rapport d’information de M. Jean-Marie BOCKEL, « La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale » du 18 juillet 2012 ou celui de Mme Catherine MORIN-DESAILLY, « L’Union européenne, colonie du monde numérique ? » du 20 mars 2013 avaient le mérite de pointer les faiblesses des stratégies française et européenne et de proposer un certain nombre de pistes très intéressantes, malheureusement jamais mises en œuvre.

Si l’on peut se réjouir de la prise de conscience tardive et des déclarations d’intention de l’Union Européenne à travers le plan d’action européen « Pour une décennie numérique« , on peut douter de l’efficacité de l’exécution d’une telle politique par ce monstre technocratique et bureaucratique qu’est l’UE.

On peut évidemment regretter qu’il n’y ait plus d’équipementier français, car il s’agit d’un secteur hautement stratégique. De ce point de vue, l’abandon d’Alcatel par le pouvoir socialiste, avec comme ministre de l’économie un certain Emmanuel Macron, a clairement été une abdication de notre souveraineté technologique et économique.3

Un projet européen de coopération industrielle

Mais pleurer sur le lait renversé ne sert à rien. L’enjeu de la souveraineté numérique et de la sécurité des entreprises comme des particuliers est trop important. L’ampleur des investissements nécessaires, la taille du réseau et le retard français en la matière incitent à envisager une solution internationale : la constitution d’un projet de coopération industrielle, à l’échelon européen, mais dans une Europe des projets, avec les pays qui le souhaitent et qui, à l’instar d’ARIANE ou d’AIRBUS, pourraient constituer un pôle d’excellence réseau et sécurité numérique.

Pour la sécurité de nos entreprises comme pour le respect des données privées des particuliers, il est nécessaire qu’un véritable Etat stratège vienne appuyer cette coopération industrielle. Ce projet aurait en outre le mérite de présenter de manière concrète, au travers d’un exemple qui parlerait à la fois au monde de l’entreprise et aux citoyens, l’Europe des Nations que nous appelons de nos vœux !

 

[1] https://www.infoworld.com/article/2608141/snowden–the-nsa-planted-backdoors-in-cisco-products.html

https://www.challenges.fr/high-tech/l-australie-exclut-huawei-et-zte-de-son-marche-de-la-5g_608241

https://www.capital.fr/economie-politique/loin-du-romantisme-macron-defend-l-achat-d-alcatel-par-nokia-1032054

Jean Francois Luc

Jean Francois Luc

Ingénieur informatique, Conseiller régional de Provence-Alpes-Côte d'Azur