Le député socialiste Olivier Falorni a profité la semaine dernière d’une niche parlementaire pour faire avancer l’agenda progressiste en tentant de légaliser l’euthanasie. Il a été soutenu dans sa démarche par des élus de tout bord, de la France Insoumise aux Républicains en passant par En Marche et les écologistes. Comme quoi, il n’y a souvent qu’une différence de degré et non de nature entre eux. Heureusement, grâce à l’obstruction parlementaire de quelques LR et du RN, la loi n’est pas passée. Jusqu’à quand ?

 

Chateaubriand disait : « La mort est belle, elle est notre amie ; néanmoins nous ne la reconnaissons pas, parce qu’elle se présente à nous masquée et que son masque nous épouvante. » Dans notre société de consommation, déracinée, sans valeurs et sans repères, la mort a été évacuée, occultée. Il suffit de voir la manière dont le gouvernement gère la crise du COVID. Par peur de mourir, on empêche les gens de vivre. Il n’y a pas si longtemps que cela, un demi-siècle à peine, il n’en était pas de même. Mes parents me racontaient que dans leur jeunesse, à Paris, lorsqu’un décès survenait, un grand dais noir était installé devant la porte d’entrée de l’immeuble. Cela incitait les passants au recueillement. Lorsqu’un proche décédait, les gens arboraient un ruban noir au revers de leur vêtement. Il était alors inconvenant de leur proposer une sortie, un dîner. On respectait leur deuil. Dans les villages, il était courant de voir les habitants accompagnant le défunt dans un cortège funèbre jusqu’à sa dernière demeure au cimetière.

 

Tout cela a disparu aujourd’hui. Les gens meurent de moins en moins chez eux, mais à l’hôpital ou dans un EHPAD.  La vieillesse et la maladie sont considérées comme des fardeaux, pour la famille et pour la société. Des faits divers, instrumentalisés par une classe politico-médiatique, essaient de rendre acceptable l’idée d’euthanasier les patients qui en feraient la demande. Les mouvements pro-euthanasie, soutenus par des people comme Line Renaud, poussent à rouvrir le débat, insatisfaits du statu quo de la loi Claeys-Leonetti votée en 2016, le tout sous couvert d’humanisme habilement « marketé » et de droit à mourir dans la dignité. Des sondages révéleraient que 90% des Français y seraient favorables. Quand on y regarde de plus près, bien plus que d’ « obtenir l’euthanasie » (24%), les priorités des Français pour la fin de vie seraient de « ne pas subir de douleur » (48%) et « ne pas faire l’objet d’un acharnement thérapeutique » (46%). Un constat nettement plus nuancé.

 

L’exemple de la Belgique devrait pourtant nous éclairer. Voilà près de 20 ans que la pratique de l’euthanasie y est autorisée. À la lecture des dossiers, le comité d’éthique belge est dans la moitié des cas incapable de savoir s’il s’agit d’une euthanasie réellement justifiée, dossiers de toute façon étudiés a posteriori. Le « droit à mourir » a été élargi en 2013 aux mineurs « capables de discernement » et aux personnes atteintes de démence. Aujourd’hui, l’euthanasie, banalisée, est la cause de 2 % des décès dans le royaume.

 

C’est toujours le même problème de ces lois sociétales, dites bioéthiques. Elles sont toujours considérées comme des lois d’exception, réservées à des cas rares. On connaît la suite. Il en ira de même avec l’euthanasie comme avec les précédentes si nous ouvrons cette nouvelle boîte de Pandore. Si nous voulons aider les gens à mourir dans la dignité, développons plutôt les unités de soins palliatifs dans chaque hôpital, hospice, maison de retraite et maison de soins. Formons les étudiants en médecine et tout le personnel de santé dès leurs études à la logique de ces soins palliatifs, dans la lignée des préconisations du rapport Sicard remis à François Hollande en 2012. Contentons-nous de la loi Claeys-Leonetti, certes imparfaite, mais qui a le mérite de maintenir un fragile équilibre entre refus d’acharnement thérapeutique et refus du recours à l’euthanasie. Notre époque sera jugée sur sa capacité à prendre soin des plus fragiles, dès la conception de l’être humain à sa toute fin, ainsi qu’à défendre les innocents et protéger les victimes.

 

Albert Camus, en recevant son prix Nobel en 1957, donnait à toute une époque la marche à suivre pour ne pas se perdre dans la démesure : « Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui nous détruire mais ne savent plus convaincre… » Ayons la sagesse de l’écouter.