En deux mots…

La « Convention Citoyenne pour le Climat » a proposé d’inscrire dans la législation française une infraction pour « écocide ». La ministre de la transition écologique Barbara Pompili et le ministre de la justice Eric Dupond Moretti ont annoncé qu’ils suivraient cette proposition. L’infraction a été requalifiée de « mise en danger de l’environnement ».[1]

La création d’un délit de faute contre l’environnement en tant que tel, indépendant de la mise en danger de la vie humaine, déjà sanctionnée, avec mise en place de magistrats spécialisés, est réclamée par les écologistes depuis longtemps (années 1970) et représente à ce titre une avancée. Mais le projet de loi ressemble davantage à une manipulation qui évite de traiter le sujet du crime environnemental et permet une gesticulation politique ;

– Gesticulation législative pour assurer au Président un leadership au sommet sur la biodiversité de Marseille, puis à la COP 22 en Chine.

– Gesticulation parce qu’elle peut servir à évacuer la notion de crime environnemental, inculpation pénale en cas de faute intentionnelle et répétée, et qu’elle est suffisamment indéfinie pour, dans un premier temps, s’en tenir à l’intention de punir

– Mais gesticulation dangereuse parce que c’est tout le système de production industriel qui est potentiellement visé et pourrait être pénalisé. La loi échoue à définir la différence entre les modifications de l’environnement inhérentes à l’activité humaine – agriculture, mines, forages, chasse et pêche, etc. – ce qui résulte et les modalités de ces activités qui constituent des fautes ou des crimes – mort des abeilles, destruction de forêts, empoisonnement des eaux et des sols, surexploitation des espèces jusqu’à leur extinction, etc.

– Pour l’humour, notons que l’installation de parcs d’éoliennes est à l’évidence une faute contre l’environnement…

Un regard sur le projet de loi « écocide »

1 – La puissance inouïe des techniques humaines excède désormais, de très loin, les capacités de régénération des systèmes vivants, à court terme du moins. Des rejets chimiques ou une surexploitation peuvent détruire toute vie dans une rivière, un lac ou une mer pour des générations (mer d’Aral), l’usage constant de fertilisants, les fuites lors de forages pétroliers peuvent polluer des terres pour des décennies, etc. L’impact de l’activité humaine sur la planète est si fort qu’il détermine un nouvel âge géologique, l’Antrhopocène.

2 – Il est bien connu que certaines pratiques industrielles ou agricoles peuvent gravement affecter la santé humaine ; cancers, stérilité, maladies dégénératives précoces, autisme, etc. Il est possible de poursuivre ces pratiques, au nom de la mise en danger de la vie d’autrui notamment.

3 – Le délit d’écocide ne concerne pas les effets sur la santé humaine de dommages environnementaux, mais les effets sur la nature elle-même. Un dommage causé à un lac, un paysage, une espèce animale ou végétale, une forêt, etc., c’est-à-dire à la nature en tant que telle, serait potentiellement une infraction. L’extension de la sensibilité humaine moderne aux formes de vie non humaine tend à donner une personnalité juridique a des éléments de la nature ; ce serait le seul moyen de protéger un fleuve, un lac, une forêt, une espèce menacée.

4 – Le projet de loi sur l’écocide est critiqué en ce qu’il consacrerait une sorte de « religion de la nature », un retour à l’animisme où il y a continuité, pas séparation, entre l’homme, l’animal, et les éléments naturels. Pour Philippe Descola, par exemple, notre sensibilité humaine doit désormais s’ouvrir aux autres formes de vie, animale et végétale, et à « la nature » en tant que telle.

La critique est recevable mais manque son objet. Au fond de la demande de la Convention citoyenne, se trouve la conscience que la qualification des atteintes à l’environnement par leurs seules conséquences sur la santé humaine, par les nuisances causées aux riverains, ou par les dommages durables qu’elles causent aux collectivités, n’est pas suffisante. Il faut punir les atteintes à l’environnement en tant que telles, et pas seulement en fonction de leurs impacts sur la santé humaine. Une atteinte à l’environnement n’est pas réparable par un procédé technique (des drones pour remplacer les abeilles) ou une indemnité financière. Les dommages causés à l’environnement ne sont ni commuables (on répare ailleurs les dommages causés ici) ni commensurables (payons une indemnité, et tout est bien!) La nature, en clair un environnement bienveillant, beau, divers, et vivant, est un bien commun qui doit être protégé en dehors même des question sanitaires, économiques ou de nuisances. Et il doit être protégé par des juridictions spécialisées, en raison de la complexité du sujet, et soutenu par une expertise publique indépendante des industriels.

5 – La vraie critique devrait porter sur la faiblesse juridique du projet de loi, le caractère indéfini du délit, d’une part, d’autre part sur les limites du projet et sur le risque qu’il détourne l’attention du véritable sujet ; celui des crimes contre l’environnement. La définition du délit est floue ; c’est que tout le système productif pourrait être accusé de dégrader l’environnement ! Pas d’agriculture, pas d’industrie, sans impact environnemental ! Séparer les effets acceptables de l’activité humaine sur le milieu, et les effets inacceptables, provenant d’actes coupables, est complexe, et pas traité par le projet de loi !

6 – Par ailleurs, le projet évacue le sujet du crime contre l’environnement, notion entrée dans la conscience collective. Elle a nourri les travaux de juristes comme Christian Uglo (voir ; « les grands procès environnementaux »).

Crime écologique se dit d’une opération industrielle ou autre conduite de manière volontaire et consciente qui dégrade gravement et de manière irréversible l’environnement. Pourraient être poursuivis comme crimes contre l’environnement le stockage clandestin de déchets toxiques, la vente de produits agro-alimentaires connus pour leur toxicité sur les abeilles et les pollinisateurs, etc. toutes opérations dont les effets sur l’environnement touchent la nature, la biodiversité ou les ressources d’un territoire, de manière grave et irréversible, et qui étaient prévisibles et évitables, de sorte que la responsabilité de leurs auteurs puisse être engagée.

Prenons quelques exemples de crimes environnementaux ;

  • Jusque dans les années 1980, l’évolution du climat vers de plus hautes températures fait l’objet d’un consensus à peu près total, y compris chez les industriels. Quand commencent les premières campagnes pour réduire le CO2, les pétroliers comprennent la menace. Ils sont consacrés des centaines de millions de dollars à financer des études, des recherches, des publications, des colloques, des mouvements politiques, pour nier le changement climatique et décrédibiliser les travaux du GIEC, alors même que les documents internes d’EXXON ou CHEVRON montrent que les dirigeants sont parfaitement informés de la réalité du changement climatique. L’opération est analogue à celle par laquelle les cigarettiers ont nié pendant des décennies toute responsabilité dans les cancers de la gorge ou des poumons. Quelle inculpation est adaptée, sinon celle de crime ?
  • Les dirigeants des sociétés utilisant les néonicotinoïdes connaissent les effets dangereux pour les abeilles et les pollinisateurs de leur produit. Ils ont dépensé des dizaines de millions de dollars pour réduire au silence ou l’oubli les études démontrant leur nocivité. Ils se sont organisés pour que les études publiées ne concernent que le principe actif et pas les additifs, qui permettent l’adhérence du produit à la plante, ou sa pénétration dans la plante, et qui sont plus dangereux. Et les documents internes publiés par des lanceurs d’alerte montrent que les dirigeants des industriels producteurs organisent sciemment la corruption à grande échelle d’experts et de chercheurs, d’enseignants agricoles, et s’organisent pour fournir aux « experts » de l’Union européenne des documents que ceux-ci recopieront intégralement. Quelle inculpation est adaptée, sinon celle de crime ?
  • Des sociétés minières, exploitant notamment l’or et certains métaux rares, utilisent des produits chimiques concentrés qui polluent les terres, les eaux de ruissellement, et réduisent de plusieurs années l’espérance de vie des populations exposées, soit directement (mineurs) soit surtout indirectement, les populations vivant en aval des zones d’exploitation (Chine, Congo, Zambie, etc. ) Comment qualifier les opérations de déni ou de camouflage des dirigeants de ces sociétés ?

Le projet de loi instituant un délit « d’écocide » a une apparence ; le renforcement de la législation protectrice de l’environnement, il a une réalité ; éviter aux dirigeants d’entreprise la mise en cause de leur responsabilité pénale telle qu’elle découlerait de l’inculpation de crime environnemental. C’est un faux semblant ; il permet de faire à la fois signe aux écologistes – « nous prenons au sérieux les dommages causés à l’environnement » – et au patronat – « nous prévenons une inculpation grave, qui vous toucherait personnellement. Nous vous évitons le pénal. » Selon les propos même de M. Dupont-Moretti, les délits d’écocide sont nombreux, habituels, et doivent être sanctionnés comme tels. Ce qui permet de les banaliser. D’où la déception marquée des associations de défense de l’environnement.

7 – Il faut souligner les contradictions permanentes des décisions gouvernementales dans ce domaine de la protection de l’environnement. L’objectif proclamé par Mme Pompili est de « zéro artificialisation nette » du territoire. Les lois de finances vont exactement dans le sens contraire ; elles poussent à vendre le foncier pour bâtir et tous les amendements contraires ont été repoussés ! (par exemple, par la suppression du versement pour sous-densité crée par le Grenelle de l’environnement, par l’exonération de la cotisation foncière et pour extension des bâtiments,  ou encore la réaffectation de la taxe départementale sur les espaces naturels sensibles qui irait aussi à la dépollution des sols et aux friches urbaines ). La surtaxation du foncier non bâti est anti-écologique ; le profit est taxé à 62 % contre 30 % sur les profits financiers !

En conclusion…

Je suis très prudent devant la tentation permanente de multiplier les inculpations pénales du chef d’entreprise. Mais il est des cas où seule, cette inculpation donne à réfléchir et peut changer les comportements.

Le vrai sujet n’est pas l’écocide, devenu « mise en danger de l’environnement ». ou « délinquance environnementale », c’est celui du crime contre l’environnement. L’objet manifeste du projet de loi instituant l’écocide est de prendre les devants et de prévenir la création d’un crime contre l’environnement, crime de nature à dissuader certains opérateurs. Quand les gains peuvent se compter en milliards de dollars, la loi doit être forte pour contrebalancer les incitations !

[1] Insérer dans le PJL relatif au Parquet européen et à la justice pénale spécialisée

Hervé Juvin

Hervé Juvin

Député européen